Nous vous proposons un article paru dans le journal l’ Avenir du 26 janvier 1956 , écrit par Edouard Depreux maire de Sceaux qui nous fait découvrir un Zola que nous connaissons sans doute moins.
Dans ses années de jeunesse passées à Paris dans l’ amitié de Paul Cézanne, Zola vint souvent se promener à Sceaux et à Robinson On lit en effet dans Bonjour, Monsieur Zola , biographie de M.Armand Lanoux : “Quand Cézanne revint à Paris au début des années de 1863, l’expérience accablante de la banque aixoise , où l’avait repris sa fringale de peindre, l’avait humanisé . Zola, lui se trouvait plus à l’aise dans sa peau. Leur amitié refleurit. Dès le printemps , ils reprirent leurs courses campagnardes. Ils allaient souvent à Fontenay-aux-Roses laissant sur leur droite Robinson, ses calicots, ses ânes et ses vertus fragiles. Traversant des champs de fraisiers, ils coupaient avant d’arriver à Aulnay, vers la Vallée -aux-Loups où il se trouvait une mare verte qui les enchantait.”
“Nous l’aimions d’amour passant nos journées de dimanche sur l’herbe fine qui l’entourait. Paul en avait commencé une étude, l’eau au premier plan, avec de grandes herbes flottantes , et les arbres s’enfonçaient comme les coulisses d’un théâtre, drapant dans un recul de chapelle les rideaux de leurs branches, des trous bleus qui disparaissaient dans un remous lorsque le vent soufflait.”
Il n’est donc pas étonnant que cet amour de Zola pour notre banlieue se soit exprimé par l’utilisation de nos paysages pour en faire le cadre d’un de ses romans. Dans Madeleine Férat , une de ses premières œuvres , et non point la meilleure, tant s’en faut, les deux héros, Guillaume et Madeleine, nous sont présentés dans les termes suivants:
“Guillaume et Madeleine descendirent de wagon à la station de Fontenay…
.Au sortir de la gare ,….ils tournèrent à gauche et remontèrent tout doucement la magnifique allée d’arbres qui va de Sceaux à Fontenay……Ils prirent la ruelle des Champs-Girard. Là, brusquement, le rideau d’arbres de la grande allée s’ouvre et laisse voir le coteau de Fontenay ; en bas, il y a des jardins, des carrés de prairies dans lesquels se dressent, droits et vigoureux, d’énormes bouquets de peupliers ; puis des cultures montent, coupant les terrains en bandes brunes et vertes, et tout en haut de l’horizon blanchissent, à travers les feuilles les maisons basses du village. Vers la fin septembre, entre quatre et cinq heures , le soleil en s’ inclinant rend adorable ce bout de nature…..
Ils s’étaient remis à marcher …les jeunes gens avaient tourné le coude que fait le chemin des Champs-Girard , et se trouvaient dans une ruelle qui s’allonge entre deux murailles grises d’une monotonie désespérante.Ils pressèrent le pas pour sortir de ce corridor étroit. Puis ils continuèrent leur promenade à travers champs, par des sentiers à peine frayés. Ils passèrent au pied du coteau où se dressent les énormes châtaigniers de Robinson, et arrivèrent à Aulnay…
A Aulnay, ils s’arrêtèrent un instant à l’ombre des grands arbres qui entretiennent en ce lieu une éternelle fraîcheur. Ils avaient eu chaud au soleil, ils sentaient avec délices le froid des feuillages leur tomber sur les épaules…..A un endroit, le chemin a coupé une butte de sable ; le sol est couvert d’une fine poudre dans lequel le pied enfonce..
.Puis le chemin monte avec de brusques détours, entre des buttes boisées. ce bout de vallon a un aspect solitaire et sauvage qui surprend au sortir des frais ombrages d’Aulnay ; quelques rochers percent la terre, les herbes des talus sont roussies par le soleil, de grandes ronces traînent dans les fossés….
“Au haut de la montée …en voyant tout d’un coup le plateau s’étendre devant eux, il sembla aux jeunes gens qu’ils n’étaient plus cachés. Bien que la campagne fut déserte , ils eurent peur de cette large étendue…..
“La route suit le bord de la hauteur. A gauche, se trouvent des carrés de fraisiers, des champs de blé immenses et nus qui se perdent à l’horizon, plantés d’arbres rares. Au fond le bois de Verrières fait une ligne qui semble border le ciel d’un ruban de deuil. Des pentes se creusent à droite découvrant plusieurs lieues de ce pays ; ce sont d’abord des terrains noirs et bruns, des masses puissantes de feuillage, puis les teintes et les lignes deviennent vagues , le paysage se perd dans un air bleuâtre, terminé par des collines basses dont le violet pâle se fond avec le jaune tendre du ciel. C’est une immensité , une véritable mer de coteaux et de vallons que piquent de loin en loin la note blanche d’une maison, le jet sombre d’un bouquet de peupliers. A la lisière du bois se trouve le restaurant où Madeleine conduisait son compagnon.”
Des années, plus de trois quarts de siècle ont passé : on reconnaitra cependant les traits des paysages évoqués par Zola, si l’on se souvient que la gare de Fontenay était située à l’est de la rue de Fontenay entre la rue des Coudrais et l’impasse des Aulnes L’exactitude des descriptions, le respect de la vérité objective tant des paysages que des faits observés , sont une fois de plus révélés dans ces pages qui, sans rien ajouter à la gloire de Zola, portent témoignage de ce qui est peut être le trait dominant chez cet écrivain : la sincérité.